Une formation qui met l’humain au centre
A la bibliothèque, au musée, dans les transports, dans les administrations ou encore dans les locaux de la police : Procap sillonne la Suisse pour aider
le personnel à accueillir au mieux les personnes
avec handicap. Ses formations ont connu une
participation record en 2023.
Texte : Martine Salomon, Photos : Florian Bachmann
Novembre dernier, dans une bibliothèque genevoise. Une employée veut sortir du bâtiment mais reste figée devant la porte à tambour. Les vantaux vitrés tournent et tournent encore. Pas moyen de s’y enfiler. Pourtant, elle passe par cette porte quotidiennement – elle a donc l’habitude de se synchroniser avec les gens qui entrent. Mais ce jour-là, ses yeux sont couverts par un bandeau. Son constat est instantané : pour une personne aveugle, c’est extrêmement compliqué.
Quelques semaines plus tard, dans une gare bernoise, un membre du personnel de train de l’entreprise BLS a lui aussi une prise de conscience frappante. Assis dans un fauteuil roulant, comment rejoindre le quai ? La rampe d’accès s’avère très longue et très pentue. Après cinq mètres, ses bras n’ont plus assez de force pour faire avancer les roues. Quel moment de solitude quand son fauteuil se met à reculer !
Un besoin de sensibilisation important
« Ces difficultés, on ne s’en rend pas compte si on ne les vit pas soi-même », souligne Sabrina Salupo, responsable du département Formation et Sensibilisation chez Procap Suisse. Voilà pourquoi les mises en situation sont essentielles dans les formations que l’organisation propose aux quatre coins du pays depuis douze ans, en collaboration avec des intervenant·e·s avec handicap.
Un record a été atteint l’an passé : 1243 participant·e·s sur 88 journées. L’éventail était large : de la protection civile neuchâteloise au bureau des passeports schwytzois, en passant par le Centre d’art Pasquart à Bienne et une haute école aux Grisons, entre autres. Certains employeurs en redemandent périodiquement, en fonction du roulement de leur personnel. « BLS est l’une de nos plus fidèles clientes : l’entreprise nous commande plusieurs formations par an car elle souhaite former chaque nouveau collaborateur et nouvelle collaboratrice », indique Sabrina Salupo.
Mises en situation
Procap se déplace sur site. Chaque type de handicap fait l’objet d’un atelier en deux parties, par groupes de cinq personnes maximum. Une personne concernée par un handicap témoigne des situations compliquées qu’elle vit en tant qu’usagère. Elle fournit des conseils concrets de nature à faciliter les choses. Puis les participant·e·s passent à la pratique. Pour le handicap de la vue, les voici qui déambulent tant bien que mal dans leurs locaux, avec des lunettes simulant une malvoyance sévère (tout est très trouble) ou une vision tubulaire (comme dans un trou de serrure).
Les participant·e·s élargissent leurs horizons, en réalisant que de nombreuses personnes ont des manières très différentes de vivre, de se mouvoir, d’interagir – et que pour autant, elles font partie de notre société et doivent y être incluses. Et en comprenant mieux les besoins spécifiques des personnes en situations de handicap, il leur est possible d’adapter l’accueil en conséquence.
Interagir efficacement
Bien sûr, le personnel n’est pas en mesure de résoudre les obstacles architecturaux les plus marquants : ceux-ci dépendent d’investissements financiers qui ne sont pas de leur ressort. En revanche, certaines suggestions permettent d’améliorer l’accessibilité facilement et à moindres frais. Par exemple, mieux disposer le mobilier, afficher une bonne signalétique, et mettre à disposition les règlements et modes d’emploi en langage FALC (facile à lire et à comprendre).
Ces formations sont particulièrement utiles pour rendre les interactions plus efficaces. Les yeux bandés, Pierre demande son chemin. Son collègue Jean répond « Là-bas », en montrant du doigt. Pierre comprend par l’expérience qu’une description est nécessaire – « Sur ta gauche, à cinq mètres ». Et quand Jean veut le guider en le poussant depuis derrière, Pierre a peur de se heurter à des obstacles. La pertinence de la technique inverse lui apparaît clairement : si Jean est devant et offre son coude, Pierre peut le suivre en se sentant protégé.
Un autre exercice consiste à se faire comprendre par une collègue munie d’un casque insonorisant. Le réflexe courant est de se mettre à crier. C’est contre-productif car ça modifie l’image labiale. Le but est que la personne sourde ou malentendante puisse lire le mieux possible sur les lèvres.
Dans la bonne humeur
Tout cela se déroule dans une atmosphère détendue. Souvent, face au handicap, on a peur de faire des gaffes. « Mais après avoir passé une journée avec des personnes concernées, on se rend compte qu’on peut communiquer avec elles comme avec n’importe qui d’autre – et que si on fait une gaffe de temps en temps, ce n’est pas grave », rassure Sabrina Salupo.
Elle-même se souvient : il y a dix ans, alors qu’elle guidait une intervenante aveugle de la gare au lieu de formation, elle lui a lancé : « Tu as vu l’émission XY hier soir à la télé ? » Aussitôt, elle s’est confondue en excuses. « J’étais mortifiée. Mais elle a éclaté de rire ! » Elle a dit que ce terme n’était pas choquant pour les personnes aveugles et malvoyantes. Elles-mêmes disent souvent qu’elles ont « vu » tel ou tel film, en audiodescription.
« C’est souvent comme ça, avec nos intervenant·e·s. Beaucoup de choses passent par l’humour. Ça permet de dédramatiser. » Au final, les participant·e·s repartent comblé·e·s : « C’est la meilleure formation qu’on ait jamais eue ! » ; « Enfin une formation qui met l’humain au centre ! »